La modernité dans la poésie créole de Castera
Publié le 1 Septembre 2009
Par Bonel Auguste
La poésie créole de Georges Castera se définit d'abord comme une poésie de l'image ; c'est une poésie d'évocation, de suggestion, et d'étonnement. Elle adopte la conception de l'image surréaliste élaborée par le poète Pierre Réverdy dans le numéro 13 de la revue Nord-Sud (1918). « L'image est une création pure de l'esprit. Elle ne peut naître d'une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées. Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte - plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique [...] » . La poésie créole de Georges Castera se veut du travail sur la langue. Le poète ne prend pas les images toutes faites du créole. Il les fabrique, les crée en utilisant des techniques modernes, mais aussi en tenant compte de la spécificité, de la nature de la langue créole. Il est le premier à avoir introduit des images surréalistes dans la poésie créole haïtienne. Dans son livre fondamental « Konbèlann » publié en 1976 par les éditions Nouvelle Optique, on trouve des images aussi émotives qu'inouïes, telles que :
m-pran oun moso nouay
pou-m pròpté zorèy-mouin
oun zouazo travèsé tèt-mouin
atéouélé fèy kasé
sé sou janm dé boua
grinn poua pral lan maché.
flanm difé sé ranyon
[...]
douvan jou
douvan jou ou-minm ki
pandyé dévan-m tankou
oun dra blan.
si m-an ranyon pa anndan.
ay ! si voua-ou té kab chaviré
lan san-m kat rou an lè.
tanbou ap fè lésé frapé ak lan nouit.
sé kòm si yo fèmin oun pòt
sou douèt loray
pou fè-l rélé
po je w tankou on ti fèy wont
ki etenn batri l douvan pye m
yo pa pran solèy
ak zèl papiyon
aa ! gin dé lè m-révé
lan nouit tonbé lan rajé-a
tankou oun choual boua
Je pourrais en prendre d'autres dans d'autres livres de Castera, comme cet extrait d'un poème de Rèl de grande beauté.
lòm kòmanse renmen
kòmanse depi nan zepòl zwezo
al teri sou do tòl
ak bo sèlman, pou nou
koupe lonbrit latè
Ce sont ces métaphores, ces comparaisons qui ont ouvert d'autres voies à la poésie créole, et l'ont emmenée à l'exploration du langage. En mélangeant des champs sémantiques que la raison ne permet pas de mettre en relation, Georges Castera ne vise jamais la gratuité de l'image. Au contraire, ces associations insolites doivent révéler la complexité des réalités sociales, politiques, économiques, historiques... Sa poésie veut avoir vue sur la mer, sur la rue, se mêler à la foule, dire l'intensité du désir dans la vibration des corps amoureux, elle veut dire le sang sur le pavé, les corps crevés dans la nuit, elle fait face à la mort, et affronte le malheur. Comme l'a écrit le poète dans Konbèlann : « Ou mande m cheri kisa pwezi vle di, enben yon bann ti fraz pou chavire malè ».
Il intègre dans sa poésie les acquis de la modernité et fouille la matrice de la langue créole. En termes de recherche formelle et d'exploration du langage, il a beaucoup expérimenté pour écarter la poésie créole de l'oralité à laquelle elle s'était attachée avec des poètes comme Morisseau-Leroy.
Beaucoup de poèmes en créole de Castera évoquent l'écrit, font référence aux mots, à l'encre, aux papiers... comme si le poème devenait le miroir de l'écriture ou une réflexion sur lui-même.
M leve m wè
tout bout paye k ekri tèt anba
M'ap fè liy on ti fraz
men li poko tonbe
Nou tankou de tach lank
sou on fèy paye
Bèl mèvèy on fot òtògraf
ka fè
anba vant tout pwèm
anba vant tout fanm ki fanm
M pa gen maladi ekri pou ekri
pou kreyon leve
sou tout kòm tankou pwa grate
Moun pa vin sou latè
pou l ekri kolele
pou l ekri bounda sere
moun pa vin sou latè
pou fè lesefrape papye ak lank
pou anbelisman radotay
Soufrans mo yo
Se soufrans pa m
Radyès mo yo se radiyès pa m
Certains de ces vers utlisent des termes ayant rapport à l'écriture pour faire des images, d'autres pourtant évoquent la démarche poétique de Castera qui a toujours cru aux puissances des mots à libérer l'homme et le langage.
Le rythme a une importance capitale dans la poésie créole de Castera. Contrairement à Morisseau-Leroy qui a utilisé constamment des anaphores pour y arriver, Castera lui, multiplie les procédés, comme l'anadiplose : répétition d'un élément à la fin d'un membre d'une structure et au début du membre suivant.
Listwa antre antre bosal
tou sal
li deklete on kalòj,
on kalòj pou l mouye
Il emploie aussi l'antanaclase, qui est la reprise d'un mot pris dans deux sens différents :
Lapli tonbe pou mwen
menm jan m tonbe pou li
(dans le premier vers tomber a le sens de pleuvoir, dans le deuxième, c'est tomber amoureux)
ou bien
Tankou lanmè ki gen vant pase
se pase m m t'ap pase
et la paronomase, qui est l'utilisation de paronymes à intervalles rapprochés :
Tout lari an san | |
Bonel Auguste |
Texte paru dans le Nouvelliste link