Liminasyon | Parcours d’un voyageur

Publié le 30 Mai 2012

poze-copie-1.jpgJ’ai reçu la plaquette avec des idées préconçues, comme si le poids de l’imprimé pouvait dire autant sur la qualité des textes. Dès le premier poème, j’ai reçu les mots d’un d’homme bien élevé à la mentalité paysanne haïtienne : Lonè ! Un poème d’une simplicité éloquente, sur un ton de révolté, mais surtout un texte osé mettant en garde tout critique qui aurait tendance à regarder de travers et à poser des observations tendancieuses sur la nouvelle poésie-créole. C’était un petit fragment prêt à servir d’introduction à un manifeste de la défense de toutes les formes qu’emprunterait la poésie, créole en particulier. C’est pourtant le texte choisi par Dovilas pour décocher le hochet ouvrant la voie : Liminasyon.

 

Lonè : titre d’introduction du recueil est constitué de quatre lignes comme dans le champ des horizons, neuf mots comme les neuf planètes, survol de l’état de notre connaissance du système solaire que la science explore de jour en jour. Tandis que ces vers sont si denses, il nous faudrait prendre assez longtemps à les transcrire par explications psychologiques pour constituer tout un ouvrage d’essaie. L’auteur par enchantement nous met en garde de ne pas planter nos os dans une couane de gombo pour en extraire l’âme de la poésie jugée au prime abord produit d’inspiration ; une vérité que tous les jeunes poètes qui rêvent de modernisation doivent apprendre et surtout tous les critiques qui s’aviseraient de dénoncer les défauts ou de louer les qualités des textes poétiques.

 

De toute façon, il faut admettre qu’il n’est pas le premier à exposer sur l’idée, d’autres avant lui ont déjà spéculé sur les manières de lire et d’apprécier la poésie, sans écarter le fait qu’Anderson l’a fait sur un ton magistralement original laissant croire qu’il serait le premier à élucider la situation :

 

« Powèm pa fèt

Pou korije

Enspirasyon an

Tou gramè ».

 

Voici donc un texte assez cynique autant de rendre ce que l’âge de son auteur, âme bien née, ne saurait lui offrir : la paternité d’une nouvelle voie poétique !

 

La poétique de l’auteur s’exhibe sur les cordes de son temps, fragile, exigeante et authentique. Toutes sensations que le corps et l’esprit peuvent éprouver transcendent sous la plume de ce prodige haïtien en parfum de poésie sur papier Chaque texte de Liminasyon est un pas mesuré au rythme de la cérémonie commandée avec rigueur par les mots choisis par l’auteur ; ce recueil envoutant, se laisse chevaucher dans l’arène surchauffée de la poésie-créole. C’est un catéchisme littéraire simple et beau, petit mais combien puissant à la démesure de sacrifices courageusement consentis.

 

Par le langage presque complètement inventé, à l’usage du verbe quotidien, il fait la démonstration d’un recul face au comportement de certains poètes de son temps traitant les mêmes thèmes que lui sans pourtant arriver à se démarquer de la tradition qui les retient victimes. Son souffle littéraire s’enclave dans une lutte pour une amélioration des conditions des gens de son pays. Même quand il est souvent question d’amour à tisser les vers de ses textes, il laisse sous les lèvres le gout pressenti des revendications justes : « Liminasyon silans kap dechire souf nou » (Woulib) ou bien encore dans le texte titré Mibalè : « Ou nan Mibalè / Jenn fanm limyè / Jenn fanm an fè… ».

 

Tous les textes de Limasyon comportent des messages subtil qu’il faut rechercher dans les dénonciations d’une tradition culturelle séculaire, dénoncée sans sauvagerie. Il ne s’abuse pas de sa plume ni de sa verve pour inculper mais pour servir de guide avisé . Dovilas reconnait ses limites, son impuissance à régenter la nature des événements d’où son rêve de l’inaccessible partagé comme un vœu exprimé dans le texte Douz Janvye, une date qui a ajouté du feu sous la misère déjà atroce du peuple haïtien : « M’anvi sere janvye / Lè lap rive sou douz

 

La poésie de Dovilas cumule des comparaisons accompagnant chaque moment de l’existence du peuple haïtien dans ses habitudes à exposer son amour (Anvanm ekri lèt sa a / Mal nan diksyonè… (Prèv damou)), dans ses manières de confronter les vicissitudes de la vie quotidienne (Anba dra gon sekrè / San kouvèti / K’ap konvèti / Chèlbè nan asyèt… (Chen janbe)), constat qui ne manque pas de révolter le poète et qui préfigure dans tous les textes, palpant ou apparent.

 

Dovilas emploie des images truffées de susceptibilités qui accusent au départ la grammaire qui posent des balisent avec plutôt comme proposition péremptoire de recourir à la compréhension sans ambiguïté si l’on veut pour témoignage le texte Azoumounou, : « Si w gade m nan manch / Wap jwenn on kouto tab / san moustach… ». Un passage qui nous rapelle une composition carnavalesque du groupe Bossa Combo qui nous faisait répéter des insanités sans que la plupart d’entre nous n’aient pu réaliser qu’ils le faisaient : magie de la poésie !

 

Si le langage de Dovilas se construit avec des prétextes dans Liminasyon, la poésie pourtant n’y perd rien, la pensée de l’auteur s’énonce toujours claire dans la plus parfaite simplicité qui explique n’importe quel sujet, un langage de travers exprimé dans la réalité, témoignage de Daphta sur fond de croyance : « Anvanm al dòmi / M’mòde zòrye a / Pou lannwit ka di w / Jan rèv la santi bon… »

 

Il promène avec sa plume comme un œil pour attirer l’attention de tous les haitiens « Dwèt sou bouch », qui cherchent leurs histoires au « Pòtay Leogàn ». Il revendique aussi un changement dans l’actuel de ce peuple : « Sa fè lapenn / Pou Pòtay… » Lieu devenu dépotoir de détritus : « Si son ti pil / Rale kreyon make figil /Pou ekri longèl pita… ». Son langage est aussi imprégné de syncrétisme qui assure un mélange de Liminasyon et de Neuvaine ; lisons cet extrait de Losti : « Wout ki mennenm /Pi pre w la / Pase nan do / Siy delakwa / ak yon balèn nan menl… » :

 

Liminasyon est un recueil à multiple interprétation qui offre une manière originale de lire la nouvelle poésie sans trop de difficulté avec des textes qui se lisent de part eux-mêmes, rythmes et sensations combinés, un recueil « Tout bon nan won » qui allume « Limyè pou pike devan / Konsa konsa nap grennen tripotay… »

 

Liminasyon est planté debout au carrefour qui donne sur la poésie créole dans la modernité, traçant une orientation aux jeunes esprits qui voudraient emprunter la voie de la poésie avec peu d’expérience ; c’est aussi un cahier imaginaire « Alfabè » qui fait la leçon : « Lèm al lekòl / Map konn koule kafe / Map konn monte pye bwa… »

 

Liminasyon est réellement un jardin fleuri de prétextes qui dénoncent de manière inattendue avec beaucoup d’audace et de prétention : « Lèm al lekòl / M’pral aprann pa konnenm… » : Notre système scolaire est pris pour cible…

 

Il serait bien de vous convier à lire ce recueil pour avoir le plaisir de mesurer la pointure d’une poésie en gestation dans toute sa forme physique et intelligible à travers un petit « Filalang » : « Lè solèy la fin sekwe kòl… ». C’est un canon poétique qui doit faire partie de vos objets de voyage et doit être déposé sur votre table de chevet afin que : « Lèwap pase lwenm nan yon foto » où « Tan an te apiye sou nou », pour que nous ayons la chance de faire une « Dènye priyè » à l’horizon deLiminasyon.

 

Les textes de Liminasyon invitent à gouter l’infini comme annoncé par le poète dans les points qui ponctuent chaque titre traité comme une invitation à participer à la cérémonie d’inauguration d’une nouvelle Poésie Créole.

 

Jean Rony Cinéus

Rédigé par Parole en Archipel par Thélyson Orélien

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